Causes Communes by Nicole Lapierre

Causes Communes by Nicole Lapierre

Auteur:Nicole Lapierre [Lapierre, Nicole]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Stock
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


NÉGRITÉ ET JUDÉITUDE

Albert Memmi forge la notion de judéité en 1962, quand il dresse, à partir de sa propre expérience, le Portrait d’un Juif 151. Il s’agit pour lui de nommer le fait et les manières d’être juif, en les distinguant du judaïsme. Terme dont le sens est devenu aussi étendu que vague et dont il juge préférable de limiter la définition à la religion, à ses valeurs, doctrines et institutions. Moins enclin que les poètes Césaire et Senghor à modeler le langage pour mieux se le réapproprier, il n’envisage pas la plasticité suggestive de « judéitude », mais préfère suivre l’usage (et l’avis autorisé de Maurice de Gandillac), pour ajouter au radical « judé » le suffixe nominalisant « ité ». Puis, dans un souci de description sociologique et de clarté conceptuelle, il recommande un autre terme, celui de judaïcité, pour désigner un groupe ou ensemble de personnes juives (la judaïcité française, par exemple).

Ces concepts étant utiles, pourquoi ne pas les exporter ? Dans un texte dédié à Senghor et intitulé « Négritude ou négrité ? » après avoir évoqué l’influence de la promotion de la négritude sur sa réflexion concernant la judéité152, Memmi suggère en retour une réélaboration du vocabulaire désignant la condition noire au vu de ses propositions sur la condition juive : « La négrité serait réservée à la manière de se sentir et d’être noir, par appartenance à un groupe d’hommes et par fidélité à ses valeurs. La négricité serait l’ensemble des personnes, groupes et peuples noirs. Le négrisme enfin serait l’ensemble des valeurs traditionnelles et culturelles du peuple noir153. » En dépit d’une réponse polie de Senghor, ses suggestions ne sont guère suivies, ni d’ailleurs vraiment discutées. Même si, dans une note, lors de la réédition de ce texte, il raconte qu’un ami antillais lui a signalé la « résonance légèrement péjorative » de négrisme et lui a suggéré nigérisme154. En vérité, ce ne sont pas l’exactitude linguistique, l’opportunité lexicale ni le halo sémantique qui sont ici en cause. Dans cette transposition analogique, à l’exact opposé du haut refus de Fanon affirmant que « le nègre n’est pas, pas plus que le Blanc155 », Memmi, dans le prolongement de la négritude senghorienne, nomme et désigne un peuple et des valeurs réunis sous le signe de la couleur. Alors qu’il est parti sur la voie d’un comparatisme allant à l’encontre de tout essentialisme, il retrouve ainsi les ambiguïtés de ces catégorisations évoquant la « peau prison ».

Au cours des années 1950 et 1960, Albert Memmi consacre de nombreux textes à diverses situations d’oppression, celles des peuples colonisés d’Afrique du Nord, des Juifs, des Noirs américains. Son Portrait du colonisé précédé d’un Portrait du colonisateur et préfacé par Jean-Paul Sartre paraît en 1957. Pour peindre ces deux figures, il s’appuie sur sa propre expérience. En tant que Tunisien, il fait partie des colonisés, ceux que l’on appelle alors les indigènes, victimes du racisme colonial et traités en subalternes. Mais, en tant que Juif, et bien que



Télécharger



Déni de responsabilité:
Ce site ne stocke aucun fichier sur son serveur. Nous ne faisons qu'indexer et lier au contenu fourni par d'autres sites. Veuillez contacter les fournisseurs de contenu pour supprimer le contenu des droits d'auteur, le cas échéant, et nous envoyer un courrier électronique. Nous supprimerons immédiatement les liens ou contenus pertinents.